
Planification des personnels de santé dans la complexité : S’attaquer à des problèmes multiples en tandem au sein de systèmes adaptatifs complexes
La planification du personnel de santé est parsemée d’embûches. Lorsque nous nous réunissons à grande échelle, il est courant de passer des heures à décortiquer les nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mais ce n’est pas l’approche qui a été adoptée lors de la conférence de l’OMS “Looking to the Future : Modéliser et optimiser le personnel de santé et de soins (27-30 avril) à Copenhague. Au contraire, nous avons été invités à commencer par repenser nos hypothèses.
Systèmes interconnectés
Le docteur Brian Castellani, directeur du Durham Research Methods Centre au Royaume-Uni, a ouvert l’événement en animant une plénière fort intéressante sur l’importance de mettre à profit la complexité dans les systèmes adaptatifs. Il nous a rappelé le caractère épineux du « problème » des ressources humaines dans le domaine de la santé. En réalité, la planification de la main-d’œuvre en santé est une toile composée de nombreux défis interconnectés et enchevêtrés : pénuries de main-d’œuvre, maintien en poste, conditions de travail sûres, éducation et perfectionnement, recrutement (tant international que national), et bien d’autres encore.
Mais ces défis en matière de planification de la main-d’œuvre en santé ne sont pas isolés. Ils sont imbriqués dans des systèmes de santé plus complexes, qui sont eux-mêmes intégrés dans des systèmes politiques, économiques et de marché du travail encore plus vastes. Essentiellement, la planification de la main-d’œuvre en santé est un système complexe au sein de systèmes au sein de systèmes.
Pour illustrer cela, le docteur Castellani a présenté une diapositive remplie de gribouillis chaotiques et multicolores. Au centre se trouvait une simple boîte noire avec des bonhommes allumettes qui tentaient de résoudre un problème unique à l’aide d’une seule flèche droite. Le message était clair : il est peu probable que l’on obtienne des résultats significatifs en se concentrant sur un problème et en ignorant la complexité qui l’entoure.
Au contraire, nous devons mettre à profit la complexité et l’utiliser comme une force. Cela signifie qu’il faut accueillir des perspectives diverses et de nouvelles façons de penser. Qu’il ne faut pas hésiter à voir les choses en grand lorsqu’il s’agit de définir une nouvelle vision audacieuse pour l’avenir. Et qu’il faut concevoir des solutions qui tirent plusieurs leviers à la fois, des solutions résilientes, adaptatives et conçues pour durer.
Bien entendu, la notion de complexité des systèmes peut sembler intimidante, voire écrasante. Pourquoi ne pas se contenter de s’attaquer à l’iceberg de la planification de la main-d’œuvre en santé un glaçon à la fois? La réponse réside dans un phénomène appelé « régression à la moyenne ». Bien que d’origine statistique, ce concept s’applique largement aux systèmes humains. Il nous rappelle que même lorsque nous travaillons pour faire changer les choses, les systèmes adaptatifs dans lesquels nous évoluons nous ramènent souvent au statu quo. C’est l’essence même du vieil adage « plus ça change, plus c’est pareil ».
L’analyse rétrospective pour aller de l’avant
Dans le même ordre d’idées, le docteur Gareth Rees, de l’Universidad ESAN au Pérou, a présenté le concept d’analyse rétrospective, une approche de planification des ressources humaines en santé qui place la complexité du système au centre de ses préoccupations. Contrairement aux prévisions traditionnelles, qui partent du présent, l’analyse rétrospective part d’une vision audacieuse de l’avenir et travaille à rebours pour cerner les étapes nécessaires pour la concrétiser. Le docteur Rees a fait valoir que les prévisions intègrent souvent les défauts du système actuel dans les plans d’avenir, ce qui limite le potentiel de transformation.
L’analyse rétrospective, en revanche, comporte deux étapes clés : d’abord, réunir diverses parties prenantes pour définir un état futur souhaité et, ensuite, évaluer l’écart entre cette vision et l’avenir probable à la lumière de la trajectoire d’aujourd’hui. La deuxième étape se concentre sur le « comment », soit l’élaboration de stratégies multiniveaux et multisectorielles pour favoriser la transformation du système à long terme. [Voir la note de bas de page 1 pour un lien vers un webinaire sur ce sujet qui pourrait vous être utile.]
Un cas d’utilisation en Suède
Dans plusieurs pays, cette approche connaît déjà du succès. Par exemple, Asa Olsen, spécialiste de la main-d’œuvre en santé au conseil national suédois de la santé et du bien-être, a fait part des premiers résultats de projets pilotes utilisant un modèle modifié d’analyse rétrospective. Ces projets sont axés sur la mise à profit du numérique dans la planification de la main-d’œuvre en santé, l’optimisation des environnements de travail, l’harmonisation de la planification de la main-d’œuvre avec l’éducation, et plus encore. L’approche suédoise de l’analyse rétrospective comprend quatre étapes itératives :
- Définir une vision concrète et ciblée.
- Concevoir des solutions à plusieurs volets en collaboration avec des acteurs du système.
- Intégrer les apprentissages dans les systèmes actuels
- Réévaluer régulièrement les progrès
Olsen a souligné que ce travail nécessite un leadership ciblé et un engagement en faveur d’un changement durable. [Voir la note de bas de page 2 pour un lien vers un webinaire sur ce sujet qui pourrait vous être utile.]
Mettre à profit la complexité
Ce qui est apparu clairement lors de l’événement organisé par l’OMS, c’est que le succès de la mise à profit de la complexité du système et de l’utilisation d’approches de planification novatrices repose sur la collaboration. Aucune organisation, aucun pays, aucun planificateur ne peut y parvenir seul. Nous devons nous accorder sur une vision commune. Nous devons comprendre nos rôles. Nous devons agir et être prêts à ajuster le cap au fur et à mesure.
Mettre à profit la complexité n’est pas une solution en soi. C’est un état d’esprit. Une manière de recadrer la façon dont nous abordons les défis actuels en matière de planification de la main-d’œuvre en santé. Et même si cela peut sembler difficile, c’est aussi stimulant. Cela me rappelle que nous avons tous un rôle à jouer. Que ce sont nos efforts collectifs qui importent. Et qu’ensemble, nous pouvons façonner un avenir meilleur.
Je me réjouis à l’idée de poursuivre ce travail avec l’OMS et les nombreux pays qui se sont réunis en avril, et d’explorer la manière dont l’analyse rétrospective dans le cadre de systèmes adaptatifs complexes pourrait être appliquée dans le contexte canadien.
Notes de bas de page :
- Gareth Rees et Cris Scotte : Introducing Backcasting for Health Workforce Planning
- Asa Olsen du conseil national suédois de la santé et du bien-être : vidéos Bing

Réflexions et points de vue de Deb Cohen, Chef de l’exploitation, Effectif de la santé Canada