
Regarder au-delà de nos horizons habituels : écouter toutes les voix et d’autres secteurs que celui de la santé
Ce sont 250 personnes enthousiastes qui ont pris part au colloque de l’OMS « Un regard vers l’avenir » (du 27 au 30 avril) portant sur la gestion prévisionnelle et l’optimisation des effectifs dans le secteur de la santé et de l’aide à la personne. Après plusieurs jours de collaboration, nous avons commencé à nous pencher ensemble sur de nouvelles méthodes de planification de la main-d’œuvre en santé. C’est à ce moment qu’une jeune femme a levé la main et s’est présentée comme faisant partie de la prochaine génération de travailleuses et travailleurs de la santé – une médecin résidente qui, chaque jour, est confrontée aux défis que pose la prestation de soins de première ligne. Affichant un sourire triste, elle a déclaré : « Quand je pense à la main-d’œuvre en santé de demain, je suis terrifiée. » Tout le monde s’est tu.
En fait, ce commentaire comportait deux messages. Tout d’abord, elle y reconnaissait l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui en matière de planification du personnel de santé et l’urgence de s’y attaquer. Deuxièmement, elle y mettait en lumière un fait qui nous avait tous échappé : il n’y avait, dans la salle, pratiquement pas d’autres étudiantes et étudiants ni de jeunes travailleuses et travailleurs de première ligne du domaine de la santé. Nous étions, pour la plupart, âgés de plus de 40 ans et nous occupions des postes de direction. Elle a ensuite posé la question suivante : « Comment pouvons-nous planifier la main-d’œuvre en santé de demain en l’absence de cette même main-d’œuvre? » Elle avait raison.
La voix de l’avenir
Nous sommes souvent attirés par celles et ceux qui pensent comme nous, qui nous ressemblent et qui partagent nos valeurs. C’est la nature humaine. Mais ce n’est pas ainsi que nous construirons la main-d’œuvre de demain. Lors du colloque, de nombreux universitaires ont fait part de leurs recherches sur les jeunes générations, soulignant l’évolution de leurs attentes en matière de conciliation travail-famille, de flexibilité et de recherche de rôles qui offrent à la fois stabilité financière et épanouissement personnel. Le groupe a également discuté du récent rapport publié par l’OCDE, What Do We Know about Young People’s Interest in Health Careers?1, qui révèle qu’entre 2018 et 2022, l’intérêt des élèves du secondaire pour des carrières dans le domaine de la santé a diminué dans la moitié des pays de l’OCDE. Les données probantes présentées étaient claires : la prochaine génération est différente des précédentes. Sans la voix des jeunes à la table de la planification, nous risquons de concevoir des systèmes qui ne répondent pas à leurs besoins.
Ce constat nous rappelle avec force que pour appréhender la complexité du système et procéder à un changement transformationnel, nous devons regarder au-delà de nos horizons traditionnels et solliciter activement des voix sous-représentées, comme celles des jeunes, mais aussi des communautés racialisées, des peuples autochtones, des personnes en situation de handicap et d’autres personnes souvent exclues de la prise de décision.
Se tourner vers d’autres secteurs
La professeure de modélisation des soins de santé à l’Université South Bank de Londres, Dre Alison Leary, a animé une séance plénière qui nous a forcés à regarder au-delà de notre secteur. Elle nous a suggéré de considérer la main-d’œuvre en santé, non pas comme faisant partie d’un secteur traditionnel de services, mais comme un secteur où la sécurité est primordiale, comme défini par Knight (2002)2, soit un secteur dont « la défaillance pourrait entraîner des pertes de vies humaines, des dégâts matériels importants ou des dommages à l’environnement ».
Les industries de l’aviation, de l’énergie nucléaire et pétrolière en haute mer, comptent parmi celles où la sécurité est primordiale et desquelles le secteur des soins de santé a beaucoup à apprendre. Bien que ces industries planifient leur main-d’œuvre en recourant à des indicateurs de productivité, elles tiennent également compte de l’aspect émotionnel du travail, de la fatigue humaine et des mesures de sécurité entre les personnes et l’équipement. (Voir la note de bas de page 3 pour consulter un article qui explore la notion d’importance primordiale de la sécurité dans la planification de la main-d’œuvre en santé.)
Personnellement, je trouve rassurante l’idée d’un cadre où la sécurité est primordiale. Je ne voudrais pas d’une industrie de l’aviation qui ne tient pas compte de la fatigue des pilotes lors de vols de longue durée. Pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement à la main-d’œuvre en santé? Un autre orateur, le Dr Kevin Fong, anesthésiste consultant et professeur à l’University College de Londres, a fait remarquer qu’après la pandémie de COVID-19, on a observé chez les travailleuses et travailleurs de la santé des taux de trouble de stress post-traumatique (TSPT) comparables à ceux des soldats en Afghanistan. Pourtant, nous ne prenons pas systématiquement en compte la fatigue émotionnelle et physique dans les modèles nationaux de main-d’œuvre en santé.
Pour prévoir cette main-d’œuvre, la plupart des pays, y compris le Canada, recourent à des modèles de base de planification des flux et des stocks, une approche type du secteur des services. Lors du colloque, nous avons entendu parler des modèles de pays comme la Norvège, l’Espagne et la Suède, chacun comportant ses propres avantages. Au Canada, les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux utilisent une série de modèles des flux et des stocks pour établir les prévisions de l’offre et de la demande4. Chaque modèle a un objectif unique et comporte ses propres avantages. Mais des améliorations sont possibles.
Le recadrage de nos modèles de prévision pour y intégrer les enseignements tirés d’autres industries, notamment celles où la sécurité est primordiale, nous offre une belle occasion d’amélioration. Il nous invite à penser différemment, à recueillir de nouvelles données et à concevoir des systèmes plus résilients et axés sur la personne.
Ce que j’en ai principalement retenu? Nous devons regarder au-delà de nos horizons habituels pour façonner la main-d’œuvre en santé de demain. De nouvelles voix et de nouveaux points de vue sont essentiels, non seulement pour remettre en question nos hypothèses, mais aussi pour nous aider à développer une vision audacieuse et inclusive. Une vision qui s’inspire des pratiques de pointe d’autres industries et qui génère des solutions multiniveaux et itératives pour transformer le système. se rétrospective dans le cadre de systèmes adaptatifs complexes pourrait être appliquée dans le contexte canadien.
Notes de bas de page :
- Rapport 2025 de l’OCDE, What Do We Know about Young People’s Interest in Health Careers?
- J. C. Knight, « Safety critical systems: challenges and directions », actes de la Conférence internationale sur le génie, ICSE 2002, Orlando, Floride (États-Unis), 2002, pp. 547-550.
- Alison O’Leary , 2023, Workforce must be seen as ‘the biggest safety critical asset we have’ | Nursing in Practice
- Modélisation et prévision de la main-d’œuvre en santé au Canada, 2024, Effectif de la santé Canada

Réflexions et points de vue de Deb Cohen, Chef de l’exploitation, Effectif de la santé Canada